Un incident inédit pose la question: les journalistes aujourd’hui sont-ils plus préoccupés par les réseaux sociaux que par l’information de l’opinion?
Un selfie dans le Bureau Ovale en présence des présidents français et américain! C’est le geste réalisé par quelques journalistes français qui a déclenché un tollé international.
Comme de vulgaires blogueuses modes, ces quelques journalistes politiques ont pensé avant tout à parader sur leur compte Twitter. Une fois rappelés à l’ordre par leurs collègues étrangers et par la Maison Blanche elle-même, cet incident doit-il être clos ou trahit-il l’émergence d’un phénomène qui transformerait le journalisme?
Des twittos plutot que des « journaleux »
Un journaliste qui prend et poste un selfie sur Twitter parce qu’il est fier d’être dans le Bureau Ovale ne transmet pas une information, il raconte une histoire. Son histoire.
A ce titre, son comportement est celui d’un blogueur. Une profession tout à fait respectable à laquelle j’appartiens moi-même, mais qui n’a pas exactement la même utilité dans le débat public et, de là, dans la pratique de la démocratie.
[pullquote]Le seul angle qu’il choisit, c’est celui de sa prise de vue. Et à ce sujet, ceux qui font l’information sont au second plan... [/pullquote]
Le terme de « gratte-papier » n’est-il plus qu’un sobriquet dépassé? Ce journaliste qui prenait le temps de l’analyse et de la réflexion, de l’enquête parfois. Celui qui rédigeait son article en détaillant les tenants et les aboutissants. Tout celà pour présenter l’information, voire son opinion... Cette figure est-elle morte?
Twitter permet l’immédiateté dans la transmission de l’info. Encore faut-il ne pas oublier l’info lorsqu’on tweete.
A qui profite le selfie journalistique?
- au journaliste: via les réseaux sociaux, il fait son auto-promo. En étant au bon endroit et avec les bonnes personnes, il se livre au storytelling, soigne son e-reputation.
En somme, il est bon de se faire connaître en montrant qu’on cotoie des gens qui comptent (par exemple en reléguant 2 présidents du G5 au second plan de ses selfies). Certains appellent ça le personal branling. - A son journal: selon le même mécanisme, un titre qui sait employer des gens qui savent se mettre en valeur sur les réseaux sociaux en récoltera aussi les fruits. Peut-être dois-je préciser ici que le journaliste le plus décrié dans cette affaire se nomme Thomas Wieder, journaliste politique au très réputé Monde. D’ailleurs, ses collègues du Monde lui ont affiché leur soutien, eux aussi via selfie et via Twitter.
A qui ne profite pas la vulgarisation de cette pratique ?
Le selfie journalistique ne transmet pas une information, il transmet une émotion. Contre-nature, ça ne profite pas à « l’info », au débat public, au journalisme.
Une simple photo comme révélateur de l’état de la presse?
Le média change, les usages changent, il est normal que la profession journalistique change aussi. De moins en moins papier, de plus en plus sociale...
Loin de moi l’idée de tirer des conclusions sur l’état de la presse à partir de ce fait isolé. De plus @thomaswieder suit tout le voyage présidentiel aux Etats-Unis et écrit de vrais articles tous les jours. Cependant, cet évènement peut être mis en parallèle avec la crise de la presse, qui touche exactement au même moment un autre fleuron du journalisme français : Libération. Quelques jours avant cet évènement, la rédaction a fait grève et le journal n’est pas paru le vendredi pour protester contre l’annonce de ses actionnaires: pour sauver, la marque, le titre doit devenir un réseau social...
Apprenti star, "attention whore", blogueuse mode, ou journaliste à la page, selon vous à quelle figure répond l'adepte du selfie journalistique?
